Photographie d’un couple, Jeanne et My, tirailleur indochinois

Pendant la Première Guerre mondiale, 90 000 hommes ont été recrutés en Indochine pour participer à l’effort de guerre en France. Leur correspondance, dont le contenu a pu être jugé subversif, est rapidement contrôlée par les autorités françaises en Indochine.

Pendant la Première Guerre mondiale, 90 000 hommes ont été recrutés en Indochine pour participer à l’effort de guerre en France. A partir de 1915, environ 40 000 tirailleurs et 50 000 travailleurs ont débarqué sur le sol métropolitain. Les tirailleurs « annamites » et « tonkinois » (du nom alors employé pour les deux protectorats sous administration française, au centre et au nord du Vietnam actuel), considérés par l’Etat-major comme de piètres combattants, furent engagés principalement dans des travaux de terrassement, tandis que les travailleurs bénéficiant au contraire d’une très bonne réputation servaient dans les usines d’armement et poudreries.

Brutalement transplantés dans un univers très éloigné du leur (la plupart des recrues proviennent de milieux ruraux pauvres), confrontés à une société dont les codes sont très différents de ceux pratiqués dans l’Indochine coloniale, les travailleurs et tirailleurs livrent leurs impressions sur leurs conditions de vie et sur la société française, dans des correspondances, lettres ou cartes postales, adressées à leurs familles sur l’ensemble du territoire de l’Indochine. Alarmées par le contenu potentiellement subversif de ces missives, les autorités françaises en Indochine mettent rapidement en place un contrôle postal sur les lettres en provenance des contingents indochinois stationnés sur le territoire français. Parmi ces correspondances, nombre d’entre elles parlent des femmes françaises et plusieurs photographies représentent des couples mixtes.
Cette photographie représente ainsi Jeanne et My, jeune couple qui pose tendrement enlacé dans un décor soigné, sans doute le studio du photographe local, sollicité pour immortaliser leur complicité. Elle en costume de ville, un petit bouquet de fleurs à la main, lui en uniforme de tirailleur, le poing posé sur la hanche gauche dans une attitude de fierté et d’assurance, un bras protecteur posé sur l’épaule de sa compagne. 

En Indochine à cette période, ce type de représentation peut choquer, la frontière entre la société européenne et la société dite « indigène » étant presque infranchissable : les relations « mixtes » sont taboues. Cette carte postale, adressée par le couple à Monsieur Trien (notable d’une petite ville de la province de Soc Trang dans le delta du Mékong sud du Vietnam), n’est jamais arrivée à destination, alors même que les mots inscrits au dos sont dénués de charge politique : « Souvenir à notre frère et notre belle-sœur, souhaitez (sic) en bonne santé ». 

Portrait en pied en noir et blanc d'un couple l'homme en tenue de militaire et la femme en tenue de ville avec un sac à main. Ils posent dans un interieur orné.

Sources à consulter aux ANOM
•    FR ANOM GGI 33411 : correspondances des tirailleurs annamites censurées durant la guerre 1914-1918
•    FR ANOM SLOTFOM III 143 : contrôle postal indochinois par le bureau de Marseille (1916-1923). Voir les fonds du Service de liaison avec les originaires des territoires français d'outre-mer (SLOTFOM)
•    FR ANOM BIB AOM 49636. Le Van Ho, Mireille Des vietnamiens dans la Grande guerre : 50 000 recrues dans les usines françaises, Paris : Vendémiaire, 2014

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