Entre décembre 1949 et février 1950, dans le contexte de la guerre civile chinoise entre les républicains et les communistes, une partie des troupes de l’armée de la République de Chine n’ayant pu s’enfuir vers Hainan ou Formose passe la frontière du Tonkin pour y trouver refuge.
Le Gouvernement français, pour sauvegarder son désir de complète neutralité dans ce conflit, donne des ordres afin que, si le cas se présente, les intéressés soient refoulés en Chine ou désarmés et internés. Cette position est matérialisée par une déclaration conjointe des gouvernements français et vietnamien communiquée à la presse le 12 décembre 1949.
Trois franchissements principaux de frontière sont à dénombrer :
- du 12 au 16 décembre 1949, les troupes Hounanaises du général Huang Chie se présentent devant Chima. Une entrevue permet d’arriver à un accord sur l’entrée au Vietnam des réfugiés civils, le désarmement des troupes à leur entrée sur le territoire, leur ravitaillement, leur sécurité et le change de leurs devises.
La position française définitive est signifiée au général Huang Chie par lettre du Haut-Commissaire n° 781 du 23 décembre 1949. - un deuxième groupe comprenant des originaires du Kwangsi, du Kwangtoung et des révolutionnaires vietnamiens émigrés se présente à Dong Khe le 21 décembre 1949. Une partie, refusant les conditions françaises, essaye de forcer le passage. Le 6 janvier 1950, l’ensemble est désarmé et interné.
Les deux premiers groupes sont internés dans l’île de Phu Quoc au camp de Duong Dong (9 à 10 000 personnes) et au camp de Cai Dua (8 à 9000 personnes). - les « débris des troupes centrales » stationnées au Yunnan viennent se faire désarmer en pays Thai fin janvier 1950. Les conditions leur avaient été signifiées et le représentant du général Pan Tcho Tchi, qui les commandait, signe le 29 janvier 1950 un procès-verbal résumant les intentions françaises. Ce dernier groupe, environ 6 000 personnes, est dirigé sur Cam Ranh.
D’autres franchissements de frontière de moindre importance ont lieu à la suite de l’écrasement des guérillas nationalistes en Chine du Sud en 1950-1951 et des mesures « contre-révolutionnaires ». Il s’agit de quelques milliers d’originaires des provinces frontalières : la plupart sont dirigés sur Cam Ranh au fur et à mesure de leur entrée au Vietnam.
Le statut des internés
Les dispositions de la 5e Convention de La Haye du 18 octobre 1907 (Art. II à XV) et les conventions de Genève du 12 août 1949 sont appliquées aux Chinois qui passent la frontière.
On les distingue en deux catégories :
- Les « réfugiés civils » au nombre de 8 000, sont des Chinois « non en état de porter des armes ». Les gouvernements des États s’opposent à ce qu’ils deviennent immigrants, aussi sont-ils groupés dans des « centres d’hébergement ». Ils peuvent quitter le territoire sur leur demande.
- Les « internés », environ 22 000, sont groupés dans des « centres d’internement ». Sont classés parmi eux tous ceux qui seraient susceptibles d’accroître le potentiel militaire d’une des parties au conflit. Les relâcher serait donc une atteinte au désir de neutralité du Gouvernement français.
Les centres d’hébergement et d’internement sont en pratique confondus, les réfugiés civils étant bien souvent la femme et les enfants des soldats nationalistes. Les internés sont considérés comme « troupes amies » et traités comme « à la suite des troupes françaises ». Les réfugiés leur ont pratiquement été assimilés au point de vue gestion.
Leur sort est un sujet de désaccord entre Paris et Taipei.
Organisation des camps et conditions matérielles de vie des internés
Leurs revendications
Les internés sont à la charge du gouvernement français. Leur situation matérielle n’est pas mauvaise, mais leur état moral est difficilement contrôlable. Des solutions ont été étudiées depuis 1949, parmi lesquelles la proposition d’emplois dans les plantations ou encore le transfert de l’ensemble du dossier des internés et réfugiés à un organisme international. Cette solution proposée dès janvier 1950 par le Haut Commissariat, et écartée par le ministère des Affaires étrangères, est à nouveau étudiée par le ministère des États associés en janvier et février 1951.
Amenés dans les camps après de nombreux jours de marche, les internés arrivent fatigués physiquement et choqués moralement par leur internement. Après une période d’adaptation, l’inertie est secouée par l’impression favorable que produisent sur les internés la mise en place d’une bonne organisation et du lancement de travaux de construction. De plus, les troupes sont reprises en main par leurs chefs hiérarchiques « En un mot redonner aux chefs et au Général leur ancienne autorité en les traitant avec certains égards… pour leur permettre d’être écoutés, obéis et ne pas avoir une masse désordonnée, un terrain où règne l’anarchie et qui serait des plus favorables pour les éléments rebelles ou hostiles aux Français » (rapport du chef de bataillon commandant le camp de Cam Ranh en date du 31 mai 1950).
Si la condition physique des internés de Phu Quoc est jugée excellente, leur ration alimentaire semble restreinte mais surtout déséquilibrée, manquant de protides animales et de glucides.
Concernant l’habillement, les crédits budgétaires permettent d’acheter en 1952, pour chaque interné, deux collections d’effets : chemises, shorts, chaussons.
Sur le plan médical, si le manque de médicaments n’est pas probant, une amélioration pourrait être apportée dans le statut de l’infirmerie qui dessert les camps d’internés. Cette analyse ressort de la note sur les conditions matérielles de vie des internés chinois à Phu Quoc d’après le rapport d’inspection du Général commandant les Forces Terrestres Sud Vietnam en janvier 1952.
À cette vision décrite par les Français, il faut bien sûr opposer le point de vue des officiers et soldats chinois nationalistes internés qui protestent contre leur détention et contre la durée et les conditions de celle-ci. Pour montrer leur indignation, les internés de Phu Quoc et de Cam Ranh font une grève de la faim le 25 décembre 1951 annoncée dans leurs requêtes du même mois qu’accompagne un rapport d’envoi du commandant Marc du camp de Cam Ranh.
À la suite de ces incidents, un comité d’études est constitué par le Cabinet militaire du Haut Commissariat afin d’examiner les problèmes soulevés. Sa première réunion se tient le 10 janvier 1952, elle est suivie d’un projet de note.
Visite du Consul général de Chine à Saigon dans les camps de Cam Ranh et Phu Quoc en mai et juillet 1950
Le Consul général de Chine à Saigon, M. Ing Fong Tsao, effectue une visite dans le camp de Cam Ranh le 21 mai 1950 au cours de laquelle il s’entretient avec les soldats internés ainsi qu’avec le général Pang Tcho Hi qui les commande et le chef de bataillon Delorge, commandant le camp qui la restitue dans un compte-rendu en date du 26 mai.
À la suite de cette première visite, il intervient auprès des services du Haut Commissariat afin de pouvoir se rendre dans les camps d’internés de l’île de Phu Quoc. Cette visite a lieu à la mi-juillet après un transport sur l’aviso Annamite. Les personnalités participant au voyage sont les suivantes :
- M. Ing Fong Tsao, consul général de Chine à Saigon
- M. le général Huang Chieh, commandant les internés chinois d’Indochine
- M. Oscar Vanae Armstrang, vice-consul des USA
- M. Tournier, administrateur adjoint de 1re classe des Services civils de l’Indochine (affaires chinoises au service diplomatique)
- M. Hong Keng Song, chancelier au consulat général de Chine à Saigon
- M. Cormier, photographe des services militaires d’information
Ces trois visites font l’objet de reportages photographiques qui rendent ainsi visuellement compte de l’organisation des camps : bâti, vie quotidienne, nombre des internés…
À son retour d’inspection des camps de Phu Quoc, le consul de Chine commence un long rapport destiné au ministre de la Défense nationale à Taipeh signalé par un bulletin de renseignement du 25 juillet 1950.
Les premiers rapatriements d’internés concernent essentiellement les femmes, les enfants et les malades. Ils commencent en septembre 1952 et se poursuivent jusqu’en juin 1953. Le départ du dernier convoi vers Formose a lieu le 22 juin.
Pour en savoir plus
Dans les fonds du Haut Commissariat de France pour l’Indochine plusieurs dossiers concernent les internés chinois et la question des franchissements de frontière :
- fonds du Cabinet du Haut Commissaire – cotes FR ANOM 1 HCI 406, 424, 638, 643, 728
- fonds du conseiller politique – cote FR ANOM 2 HCI 4 ;
- fonds du conseiller diplomatique - cotes FR ANOM 3 HCI 89 ; 95-98, 101 ; 129, 132-134 et 202.
- Cadeau (Ivan), La guerre d’Indochine – de l’Indochine française aux adieux à Saigon 1940-1956, Paris : Tallandier, 2015.
- Tertrais (Hugues), La piastre et le fusil. Le coût de la guerre d’Indochine (1945-1954), Paris : Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2002.
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