Dessin en couleur de roseaux.

Albert Sallet, un médecin colonial en Indochine

Modifié le 03/06/2025

Pendant près de trente ans, le parcours d'un médecin érudit en Indochine. Au cœur de ses recherches : la botanique, la pharmacopée, la médecine traditionnelle, la langue vietnamienne, les coutumes locales et le patrimoine.

Introduction

Le fonds Albert Sallet (1877-1948) donné par son petit-fils Jean Cousso, président de la Nouvelle Association des Amis du Vieux Hué (NAAVH), aux Archives nationales d'outre-mer (ANOM) en 2014 est composé :

  • du fonds Albert Sallet proprement dit, rassemblé par le médecin et le savant pendant sa longue carrière indochinoise et toulousaine, de 1903 à 1947, au cours de ses travaux et missions à différents titres : correspondant de l’École française d’Extrême-Orient (EFEO), co-fondateur de l'Association des Amis du Vieux Hué (AAVH) avec Léopold Cadière ; conservateur du Musée Cham de Tourane ; chargé par le protectorat de l'étude des matières médicales de l'Annam ; chargé de l'organisation d'une enquête auprès des villages de l'Annam ; premier conservateur du Musée Georges-Labit de Toulouse, etc.

    Le fonds Sallet est riche de quelques 15 000 pages manuscrites inédites en quoc-ngu, caractères Nom, Cham et français ; de 600 dessins ou aquarelles ; d’une correspondance personnelle à caractère scientifique ; d’une bibliothèque d'environ 700 livres, cartes et tapuscrits datés de 1808 à 1945, conservée à l'École française d'Extrême-Orient.
  • du fonds collecté ou réalisé par la Nouvelle AAVH depuis 1996 avec le soutien du Sénat. En particulier, la NAAVH gère un patrimoine de 10 000 photographies ou images collectées depuis 20 ans, provenant du fonds Sallet ou de fonds privés que lui ont confiés des témoins de l'époque où leurs descendants. Voir son site web : http://www.aavh.org

Les documents de ces deux fonds touchent à des domaines aussi variés que la pharmacopée, l'histoire et les traditions du Vietnam ancien au sens le plus large, la linguistique, la botanique, la magie conjuratoire, etc... "

Les illustrations du dossier ont plusieurs origines : nommées AP_AAVH, elles ont été fournies par l'Association des Amis du Vieux Hué ; nommées FONDS_SALLET, elles proviennent des archives privées du docteur Albert Sallet confiées par Jean Cousso aux ANOM (FR ANOM 226 APOM) ; toutes les autres sont issues des différents fonds des Archives nationales d'outre-mer.

Biographie d'Albert Sallet (La Souterraine, 1877-1948)

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Archives nationales d'outre-mer, FR ANOM AP AAVH 0213

Dès sa sortie de l'École principale du Service de santé de la marine et des colonies de Bordeaux en décembre 1902, Albert Sallet est appelé à servir en Indochine où il débarque en 1903 à Haiphong, port du Tonkin. En 1904, il est détaché au service mobile de la vaccination contre la variole, basé à Hanoï. Puis il est nommé en novembre 1906 en Annam pour un deuxième séjour, qu'il effectue à l'ambulance de Tourane ; il y est renommé en 1910 à l'hôpital. C'est à Tourane qu'il rencontre Amélie Morin, qu'il épouse en 1910. Son action dans le contrôle de l'épidémie de peste de cette ville, lui vaut la médaille des épidémies en 1911. Il découvre la civilisation des Chams lors de son affectation comme médecin de la province du Quang Nam à Faifo. Pour son dernier séjour, il est affecté comme médecin-chef de l'hôpital régional de Phan Thiet dans la région plus méridionale de l'Annam. Il y approfondit l'étude des Chams, apprend leur langue et se plonge dans la connaissance de leurs traditions médicales et pratiques de « magie conjuratoire ». Il demande sa retraite de médecin-major en 1925 afin de pouvoir se consacrer à ses travaux.

Selon la tradition des médecins du XIXe siècle, qui étaient souvent botanistes, Albert Sallet a une connaissance précise de la flore vietnamienne. Cette spécialisation lui permet non seulement de rédiger plusieurs travaux botaniques mais aussi de comprendre la pharmacopée sino-vietnamienne. Grâce à son appréhension de la langue et de la médecine traditionnelle vietnamiennes ainsi que des coutumes locales, le docteur Sallet devient en 1919 membre correspondant de l'École française d'Extrême-Orient (EFEO). Dans ce cadre, il est également chargé en 1926 de la protection des Monuments historiques de l'Annam, puis nommé conservateur du musée d'art Cham de Tourane. De 1914 à 1945, il est également un acteur essentiel de l'Association des Amis du Vieux Hué qui s'est fixée pour mission de « transmettre aux générations futures la vision la plus authentique du Viêt-Nam d'autrefois ». Le Gouvernement général de l'Indochine lui confie en 1926 la mission officielle de « réaliser une somme de la pharmacopée et des matières médicales du centre Viêt-Nam »... qui aboutit en 1931 à la publication, dans le cadre de l'Exposition coloniale internationale de Paris, de L'Officine sino-annamite en Annam, Livre I : Le médecin annamite et la préparation des remèdes, qui apporte sur les plantes médicinales une série de précisions, véritable mise au point de travaux plus anciens. Le tome II ne voit jamais le jour, les responsables d'Hanoï annonçant à Sallet qu'il n'y a plus de budget pour poursuivre cette mission. Sallet continue ses recherches jusqu'à sa mort et laisse dans ses papiers les travaux préparatoires à cet ouvrage inédit de pharmacopée sino-viêtnamienne.

Photographie en noir et blanc d'un groupe de femmes et d'enfants tonkinois attendant pour se faire vacciner.

En 1931, le docteur Sallet vient s'établir à Toulouse où il conduit le développement du legs Labit jusqu'à la création du musée asiatique du même nom. Né à Toulouse en 1862 dans une riche famille commerçante, Georges Labit se rend dès 1884 en Afrique du Nord, puis poursuit ses voyages en Europe, en Laponie, en Chine et surtout au Japon. Il observe la façon de vivre des autochtones, recueille des témoignages précieux sur les civilisations et acquiert de nombreux objets et œuvres d'art envoyés à Toulouse. Il fait construire un édifice pour les recevoir. Ce musée est ouvert le 11 novembre 1893, mais son fondateur meurt prématurément en 1899. Albert Sallet entreprend de recenser, d'étiqueter, de classer tous les documents et les objets laissés par Georges Labit, permettant ainsi à cet établissement de devenir le premier musée asiatique et oriental hors de Paris. Il emmène également à Toulouse une masse de documents, d'objets, de dessins et de peintures qu'il souhaite exploiter dans le cadre de ses recherches et travaux.

Galerie d'images

Albert Sallet et l'Association des Amis du Vieux Hué (AAVH)

Le 16 novembre 1913, dix-sept personnes fondent l'Association des Amis du Vieux Hué. Trois hommes sont à l'origine de cette création : Léopold Cadière (1869-1955), des Missions étrangères de Paris, principal initiateur et animateur du projet, Léonard Aurousseau, pensionnaire de l'École française d'Extrême-Orient (EFEO) et précepteur de l'Empereur Duy Tân ainsi que le docteur Albert Sallet, médecin des troupes coloniales. De 1913 à 1944, l'association a une double mission :

  • l'œuvre interne, consistant à diffuser la culture vietnamienne, est définie par Cadière comme « l'ensemble des études entreprises par les membres de l'Association et publiées dans le Bulletin ». Ces études sont considérables, portent sur Hué et sa région mais également sur l'ensemble du territoire. En trente ans, 120 bulletins sont publiés. Le Bulletin vise « l'honnête homme » désireux de s'informer. Albert Sallet y publie seize articles : 5 en ethnologie et ethno-pathologie, 4 en archéologie et architecture, 3 en géographie, 2 en botanique-pharmacopée ;
  • l'œuvre externe, vise quant à elle, à préserver et sauvegarder les monuments. L'Association a ainsi constitué une véritable commission des sites avant l'heure.

Les enquêtes scientifiques auprès des villages du Viêt Nam Central

De 1919 à 1930, Albert Sallet mène, à la demande du Gouvernement général de l'Indochine et du directeur de l'EFEO, une vaste enquête en Annam, aidé par Nguyen Dinh Hoê, directeur de l'École des Hau Bo (École des aspirants-mandarins de Hué, créée le 5 mai 1911). 
Il établit au préalable une liste des villages qui sera régulièrement « réactualisée », avec mention du nombre précis d'habitants. 
Il élabore ensuite des questionnaires destinés à collecter à la source, en fonction de chaque village ou commune, des informations précises sur des domaines très diversifiés tels que la richesse des vestiges, l'histoire, les coutumes, les cultes, les traditions orales, les pratiques médicales et plantes médicinales, pour les rassembler et les exploiter à des fins scientifiques. Les autorités administratives directement supérieures ou les lettrés sont sollicités pour aider les responsables des villages à recueillir les témoignages des anciens et à rédiger les réponses. Une importante série de documents rédigés en quoc ngu, nom, cham et latin, souvent accompagnés de leur traduction en français est ainsi collectée, classée afin de servir à la rédaction des rapports destinés au Gouvernement général.

L'étude des pratiques de magie conjuratoire d'Annam

A la même période, les pratiques de « magies conjuratoires » deviennent un autre terrain d'exploration pour Sallet. 
C'est à Phan Thiet, où il est en 1923 et 1924 responsable de l'hôpital, que le médecin major étudie le domaine des esprits malfaisants en vivant auprès des Chams, dont certains font partie du personnel. Il remarque que certaines cures sont associées à des manipulations de caractère magique. 

Il obtient de certains sorciers, notamment celui de Tourane, qu'ils acceptent de peindre sur papier de riz un double des « images » support des pratiques magiques à fin de protection ou d'exorcisme. Il rassemble plus de 500 images ou amulettes, classées comme documents de « magie conjuratoire ». Elles représentent aussi bien des divinités légendaires, des animaux, des plantes, des pièces de monnaies, des briques ou des outils préhistoriques. Les dessins sont destinés à être ingérés dans du thé, placés sous le lit du malade, sur la porte de la maison ou accrochés sur une branche.

L'étude de la pharmacopée sino-annamite en Annam 1926-1929

En 1925, une commission spéciale est chargée d'étudier la réglementation de la pharmacopée sino-annamite. L'élaboration d'un abrégé semble une phase préliminaire qui « ne pouvait être menée à bien qu'en faisant appel aux compétences locales de chaque pays de l'Union ». 

C'est ainsi que pour l'Annam, le Résident supérieur, M. Pasquier, nomme le docteur Sallet « botaniste distingué, possédant une profonde connaissance des choses et des gens du pays, dont il parle la langue ». L'ordre de service en date du 10 décembre 1926 est rédigé en français, en quoc ngu et en caractères chinois. « Monsieur le docteur Sallet, médecin-major des troupes coloniales en retraite, est chargé par le Gouvernement du Protectorat, et dans un but uniquement scientifique, d'étudier les médicaments utilisés par les pharmacopées chinoise et annamite en Annam ». La durée du contrat est fixée à trois ans. 

Avec la collaboration de deux médecins vietnamiens, qui l'aident à traduire tous les documents collectés, il enquête dans les provinces, auprès des médecins des villages et dans les familles afin de trouver les éléments qui vont lui permettre de réaliser un droguier fondé sur des témoignages, des livres de l'enseignement chinois et des recueils d'Annam. Son travail, publié dans le premier volume de L'Officine sino-annamite en Annam permet d'identifier de très nombreuses plantes ainsi qu'un grand nombre de produits médicinaux. Il en donne les qualités fondamentales ainsi que des indications sur leur emploi en pays annamite.

En savoir plus

Sources aux ANOM

Archives conservées

EE II 3000A (20) et GGI 32629 et 40133 - dossiers personnels

AGEFOM 241/317 - Plantes médicinales diverses

  • Article du docteur Sallet « Quelques plantes médicinales de l'herbier Indochinois » dans Revue des Herboristes, février 1933.
  • Rapport du docteur Sallet au 3e congrès scientifique des herboristes « Les plantes d'exploitation herboristique en Indo-Chine française » dans Revue des Herboristes, mars 1933.
  • Les plantes médicinales de l'Indochine et les possibilités de leur exploitation (Conférence prononcée par A. Sallet au Congrès des Herboristes de France et des Colonies le 25 septembre 1931, à Paris, 14 p.).

Bibliothèque

Ouvrages d'Albert Sallet

  • Physionomie populaire d'un arbre d'Annam : le pin, ses valeurs, ses symboles. - Éd. Faculté des sciences, 1933. BIB AOM//B7331
  • L'Officine sino−annamite en Annam. I : le Médecin annamite et la préparation des remèdes. Éd. G. Van Oest, 1931. BIB AOM//12284
  • Les Montagnes de Marbre (Tourane). - Éd. Imprimerie d'Extrême−Orient, [1924]. BIB AOM//41044 ; BIB AOM //20749
  • Un peuple qui disparaît. Les Chams du Sud−Annam. - Éd. Imprimerie Toulousaine (Liou et fils), 1936. BIB ECOL/14680/5 ; BIB AOM//21456
  • Considérations sur les manifestations du volcanisme en Annam et les sources thermominérales. - Éd. [s. n.], 1927. BIB AOM//20880
  • Au sujet des sources thermo−minérales de l'Annam. - Éd. [s. n.], 1928. BIB AOM//20880

Sources complémentaires

Site de l'Association des Amis du Vieux Hué :  http://www.aavh.org

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